7 questions à Juliette de Chassey – Lyon Days – 2025

7 questions à Juliette de Chassey – Lyon Days – 2025

LYON DAYS 2025

 

A l’initiative de l’UNADREO, la majestueuse ville de Lyon accueillera du 25 au 28 août 2025, la première édition des Lyon Days. Il s’agit d’une nouvelle occasion de rencontres internationales en orthophonie/ logopédie. Chaque jour une thématique sera abordée par un expert du domaine. Les intervenants s’appuieront sur des données scientifiques probantes et proposeront des temps dédiés à l’amélioration des pratiques orthophoniques/logopédiques.  Nous avons choisi de vous présenter ces intervenants à travers une série de portraits intitulés : « 7 Questions à…»

Madame Juliette de Chassey interviendra le 27 août 2025 sur Bégayer librement : De la Réactivité à la Créativité.

7 Questions à Juliette de Chassey

Propos recueillis par Catherine Salomon, co-responsable des Lyon Days 2025

Depuis quand travaillez-vous sur les troubles de la fluence ?

Je suis diplômée depuis 1994 et depuis le début de ma pratique j’accompagne essentiellement des enfants, des adolescents et des adultes qui bégaient ou bredouillent.

Que savons-nous du nombre de personnes présentant un bégaiement ? 

On a coutume de dire que le bégaiement touche 1% de la population adulte, indépendamment de l’origine ethnique, de la langue parlée ou du contexte culturel.

Plus précisément, on parle de 5 à 8% des enfants et 2 à 4% des adultes. Le bégaiement apparaît en général chez l’enfant qui apprend à parler, entre 2 et 5 ans, sachant qu’entre 75 à 80% d’entre eux auront une récupération spontanée.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la prise en soin orthophonique/logopédique des personnes qui bégaient ?

La prise en soin du bégaiement a beaucoup évolué ces 10 dernières années et ce qui se passe actuellement est passionnant !

Intervenir de manière précoce auprès de l’enfant qui commence à bégayer est maintenant bien ancré dans nos pratiques.

Les parents sont de plus en plus intégrés dans le processus thérapeutique. C’est une évidence pour le très jeune enfant mais c’est également très important pour l’enfant plus âgé et pour l’adolescent. En effet, le partenariat avec les parents favorise la désensibilisation et l’acceptation du bégaiement, étapes indispensables pour changer les croyances, diminuer la lutte, réduire l’inconfort émotionnel et favoriser une parole plus confortable et plus libre.

L’idée aussi est de les aider à mieux comprendre ce que vit leur enfant mais aussi de prendre soin d’eux, d’accueillir ce qu’ils vivent, leurs propres expériences émotionnelles et leurs peurs en présence du bégaiement.

L’approche biopsychosociale du handicap a ouvert le regard et les perspectives sur le bégaiement et entraînent une vraie complémentarité des approches thérapeutiques. En effet, nos prises en soin sont de plus en plus holistiques, globales et intégratives. La compréhension de l’expérience du patient est multidimensionnelle et intègre des aspects biologiques, cognitifs, émotionnels, linguistiques moteurs et sociaux. L’objectif thérapeutique étant d’améliorer son confort moteur pour faciliter son expression, sa communication, sa vie relationnelle et finalement la qualité de sa vie. Nous allons nous intéresser à tout cela pour comprendre ses besoins spécifiques et faire du « cousu main ».

Actuellement, les orthophonistes sont beaucoup plus au fait des avancées de la recherche internationale grâce aux revues scientifiques, aux congrès, aux podcasts et aux échanges de plus en plus nombreux entre professionnels et aussi grâce à la participation et à la place accordée à l’expertise des patients eux-mêmes. Ces connaissances et ces échanges sont l’occasion d’évaluer et de réévaluer la fonctionnalité de nos approches et de les enrichir.

Nous avons à notre disposition une immense palette d’outils, de techniques et de perspectives que nous pouvons combiner, en restant centré sur le patient et en incluant son entourage.

La recherche nous permet de mieux comprendre les mécanismes génétiques et neurologiques sous-jacents. Le bégaiement est maintenant reconnu comme un trouble du neuro développement. Il est aussi d’une incroyable complexité et reste encore très mystérieux par de nombreux aspects.

Sa variabilité, par exemple, du fait d’un système moteur instable est source de stress pour la personne qui bégaie. Ce qui explique que même si la communication est au cœur de la prise en soin, nous accordons une place importante à la régulation du stress et à l’apaisement de l’anxiété pour réduire la pression et la tension qui s’exercent sur la personne qui bégaie et sur son instrument. C’est, entre autres, pour agir sur cette dimension anxieuse que nous avons besoin d’emprunter des outils au domaine de la psychothérapie. Nous aidons également nos patients à renforcer l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, à identifier leurs ressources, à prendre conscience de leurs compétences, pour consolider leur confiance en eux. Et aussi, stimuler leur confiance en l’autre, en s’affranchissant, du mieux qu’ils peuvent, de la peur du jugement et de du regard de l’autre sur eux.

Vous êtes déléguée de la région Rhône-Alpes, de l’association Parole Bégaiement. Cette association effectue un travail extraordinaire notamment en matière de prévention. Quel bilan dressez-vous de toutes ces actions ? 

Pour répondre à cette question, je me fais la porte-parole de Yan Eric de Frayssinet, le président de l’APB et de tous ses délégué.e.s

C’est une association pleine de vitalité, animée par des personnes qui bégaient et des thérapeutes très impliqués.

Pour remplir sa mission de prévention, l’APB organise un colloque international tous les deux ans, crée des événements originaux comme des ateliers d’improvisation pour la Journée Mondiale du Bégaiement (JMB) le 22 octobre de chaque année, des partenariats avec le cinéma, comme dernièrement avec le film Le Panache, ou avec l’Eloquence du Bégaiement (EQB) portée par Mounah Bizri. Dans certaines villes, des self help soutiennent les personnes isolées et une psychologue, Loni propose de l’écoute au téléphone !

Oui l’APB est très engagée dans l’action de prévention, de sensibilisation à la cause des PQB à l’école et dans le monde professionnel et est un soutien à la recherche. A l’ère de la neurodiversité, elle permet une plus grande visibilité du bégaiement et participe au changement de regard sur le bégaiement et à la déstigmatisation.

L’APB soutient même le projet de travailler avec les grandes instances de l’enseignement pour que des personnes qui bégaient puissent devenir orthophonistes comme c’est le cas dans de nombreux pays !!

L’UNADREO tient lors de ses évènements, à bien montrer le lien entre pratiques cliniques et recherche scientifique. En quelques mots que pouvez-vous nous dire des thérapies nouvelles générations ?

Ce que j’entends par thérapies de nouvelle génération, ce sont toutes les approches qui intègrent les émotions et le corps pour aider le patient à mieux sentir ce qui se passe en lui, à s’apaiser, à réguler et à composer avec l’inconfort émotionnel.

Par exemple, c’est la pleine conscience ou mindfulness qui apprend à observer et à ressentir ce qui se passe dans l’instant et permet de développer la proprioception. C’est très intéressant pour les personnes qui bégaient car la parole se produit, s’ajuste et se régule dans l’instant en fonction des ratés, des erreurs, des hésitations.

C’est aussi la thérapie d’Acceptation et d’Engagement ou thérapie ACT qui est issue de la famille des thérapies comportementales et cognitives. Elle met l’accent sur l’acceptation de ce qui ne peut pas être changé et l’engagement vers ce qui peut l’être. C’’est l’idée de « faire avec » au lieu de lutter inutilement contre ce qui est déjà là : le bégaiement par exemple. Elle aide le patient à développer sa flexibilité psychologique et comportementale, c’est-à-dire sa capacité à s’adapter au contexte dans lequel il est amené à s’exprimer et à choisir sa manière de le faire. Et tout cela, en présence de ce qu’on appelle l’inconfort : la peur de bégayer ou de ne pas être compris, l’appréhension des réactions de l’interlocuteur, la tension intérieure, les blocages…

Afin de créer de la connaissance permettant d’améliorer encore la qualité de vie des personnes bègues, quels sont selon vous les nouveaux axes de recherche à explorer ?

Les axes sont très nombreux.

Je pense à l’importance de continuer à intégrer les émotions et le corps dans la thérapie et que les orthophonistes se sentent légitimes de le faire !

Je pense à renforcer le partenariat avec les parents de nos patients et avec l’environnement, l’école, le monde du travail…

Une plus grande visibilité dans les médias permettrait une sensibilisation du plus grand nombre avec une meilleure compréhension du bégaiement et de ses impacts sur la vie des personnes. Si le bégaiement est mieux compris et présenté de manière plus nuancée, nous assisterons à la réduction des préjugés et de la stigmatisation des personnes qui bégaient à l’école ou au travail et à la diminution de la pression sociale.

Pour revenir à l’orthophonie, j’ai la conviction qu’il est important de développer les pratiques de groupe qui sont reconnues comme l’outil de prédilection pour favoriser la désensibilisation, l’apprentissage et la généralisation de nouveaux comportements et soutenir la motivation pour changer.

Je pense aussi à la possibilité de proposer ponctuellement et régulièrement aux patients une prise en soin intensive sous forme de stage par exemple. Il en existe déjà mais les conditions ne permettent pas un accès pour tous.

Développer la pair-aidance est une piste d’avenir. Par exemple, dans le contexte d’une ou plusieurs séances, on pourrait imaginer une forme de mentorat : une personne qui bégaie peut partager son expérience, offrir son soutien, être force de propositions et collaborer activement au processus thérapeutique.

De nombreux orthophonistes plaident pour plus de dialogues et de circulation de l’information entre les cliniciens et les chercheurs. La pratique libérale étant la plus répandue, les orthophonistes sont un peu isolés et ont pourtant la capacité de recueillir des données précieuses. Leurs observations et leur expertise pourraient être mises à profit pour une recherche dont les résultats sont plus faciles à appliquer et surtout plus en lien avec la réalité de nos pratiques et la diversité de nos patients.

De même, favoriser la recherche participative avec les patients permettrait de mieux prendre en compte leurs besoins, leurs préoccupations et la réalité de leurs expériences en étant plus ancrées dans leur vie quotidienne et ainsi faciliter la mise en œuvre des résultats des recherches.

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Oui, pour faire progresser nos pratiques vers plus d’efficacité thérapeutique, en s’appuyant sur les critères validés par la recherche et la littérature, le cadre et la convention qui régissent notre profession doivent absolument évoluer ! Cela fait plusieurs années maintenant qu’on nous reconnait l’expertise de poser un diagnostic à l’issue du bilan orthophonique mais nous n’avons ni la possibilité ni la souplesse de proposer un cadre de séance adapté aux besoins du patient. Les séances sont trop courtes, le format des groupes également et très mal rémunéré par rapport au travail fourni, recevoir les parents sans l’enfant n’est toujours pas autorisé….

Les orthophonistes ont un immense souci de bien faire mais sont empêchés dans leur bonne pratique par cette inadaptation du cadre. Nous sommes formés à des programmes internationaux passionnants sans avoir la possibilité d’en respecter le mode d’emploi.

Que de défis ! Je pense que nous sommes dans une période de transition et je suis convaincue que l’orthophonie est en train de se transformer, grâce à la détermination des orthophonistes, vers des approches toujours plus humaines et performantes pour améliorer la qualité de la vie des personnes qui bégaient et bredouillent.

Qui est Juliette de Chassey ?

Orthophoniste à Lyon, elle est déléguée Région Auvergne Rhône-Alpes de l’association Parole Bégaiement (APB) et enseigne aux CFUO de Lyon et de Clermont-Ferrand

Nous avons extrait quelques éléments de son parcours :

Formation

2018 : Focus ACT – Atelier avancé (Kirk 1 Patricia Strosahl) 2015 : Thérapie ACT (Jana Grand), niveau 2

2014 : Thérapie ACT (Benjamin Schoendorff), certificat niveau 1 et

2010 : MBSR : Mindfulness Based Stress Reduction

2008-2009 : OSTEOVOX formation à la thérapie manuelle

2000 : D.U. Thérapie Comportementale et Cognitive, Université Claude Bernard Lyon Département Biologie Humaine

1994 : Certificat de Capacité en Orthophonie Université Claude Bernard Lyon 1 ISTR

Activité

Depuis 1994 : Orthophoniste. Cabinet Bellecour Bégaiement, Lyon Troubles de la fluence et de la voix Groupes thérapeutiques d’adultes et d’enfants d’âge scolaire Ateliers de parents

Depuis 2025 : Créatrice et enseignante du Certificat Universitaire Bégaiement et Emotions. Formation continue à l’UCLy

Depuis 2024 : Créatrice et enseignante du Diplôme Universitaire. Bégaiement et bredouillement, approches actuelles à Tours-Depuis 1998 : Enseignante. CFUO Lyon Université Claude Bernard Lyon 1, CFUO Clermont-Ferrand Encadrement de DRTO et de mémoires de fin d’études Membre du Jury pour les épreuves orales d’admission en 1ère année d’orthophonie

Depuis 2005 : Activité de Formatrice. FOCAL Université Claude Bernard Lyon 1 – ALRD Lausanne, Suisse – FORA formation – Expertise Formation ABSL – Bégaiement-Bredouillement Formation Approche comportementale et cognitive dans la prise en soin du bégaiement L’Acceptation et l’Engagement en orthophonie Bien Bégayer Bien Communiquer avec Christine Tournier Bégayer et communiquer librement

De 2019 à 2020 :  Directrice pédagogique du D.U. Bégaiement et bredouillement. Approches cliniques, théoriques et thérapies de nouvelles générations Université Claude Bernard Lyon 1 2012-2017 Enseignante au D.U. Bégaiement et autres troubles de la fluence

Bibliographie et Communications

Tournier, C., & de Chassey, J. (2024). Questionner et renouveler les pratiques et la recherche à la lumière du modèle bio-psycho social : Approche intégrative par la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) dans l’évaluation du bégaiement et du bredouillement.

Dans S. Topouzkhanian, C. Salomon, & F. Gaubert (dir.), Orthophonie-logopédie et trouble du neurodéveloppement : Actualités de la recherche, pratiques et innovations (pp.291-319). UNADREO Form orthoédition.

de Chassey J. (2019). La thérapie d’Acceptation et d’Engagement (ACT) Lettre Parole Bégaiement

de Chassey J. (2018). Le cadre et la demande en ACT. Langage et Pratique – Revue de l’Association Romande des Logopédistes Diplômés, (60)

 

Merci Juliette ! A très bientôt aux Lyon Days !